De notre envoyée spéciale à Caracas, Claire Meynial
Publié le 28/06/2017 à 07:50 | Le Point.fr
REPORTAGE. Face à l’absence de chiffres officiels de la criminalité, des journalistes campent chaque jour devant la morgue de la capitale vénézuélienne.
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Les megabandas
Cela fait des années que le gouvernement refuse de communiquer, jetant un voile inutile sur une violence qui signe l’un des échecs les plus criants du chavisme. Pour la deuxième année consécutive, après avoir longtemps campé sur la deuxième marche du podium, Caracas occupe officiellement la place de la ville la plus dangereuse du monde. Selon le classement du Conseil citoyen pour la sécurité publique et la justice pénale, ONG mexicaine qui fait autorité en la matière, la capitale vénézuélienne détient le record en 2016, avec plus de 130 meurtres pour 100 000 habitants. Elle est suivie d’Acapulco (113,2), au Mexique, puis de San Pedro Sula (112,1), au Honduras. Natal, la première ville du Brésil, dangereux dans l’imaginaire collectif, occupe la 10e place, avec 69,6 meurtres pour 100 000, quant à Cali (54), première ville colombienne, elle figure à la 21e place.
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L’insécurité est une politique d’État
En septembre 2014, Miguel Rodríguez Torres, ministre de l’Intérieur et de la Justice, a proposé un échange d’armes contre des bourses universitaires, du matériel électronique, des médicaments ou des opérations à l’hôpital. Avec un résultat mitigé. « Les gens ont donné leurs vieilles armes, ils en ont acheté d’autres, retrace Luis Cedeño. Il y aurait entre 3 et 4 millions d’armes dans le pays, pas plus de 200 000 enregistrées. La majorité était légale avant. Et on ne sait pas combien en détient l’armée. Il y a beaucoup de morts par grenades à fragmentation et fusils d’assaut libyens, ça vient clairement de l’armée et il y a un déficit de contrôle de l’État. » Sans compter les prisons, véritables supermarchés de l’armement.
Devant la morgue, l’attroupement s’est dispersé. Caterino González tient à parler pourtant, des larmes accrochées aux cils : « Le problème, c’est le manque de valeurs. Personne ne fait rien et on a un effondrement des valeurs. » Avec la crise politique et économique qui n’en finit plus depuis 2014, la société vénézuélienne a basculé dans un cauchemar. Où il est devenu habituel de s’agripper à la nourriture qu’on a réussi à acheter, de laisser son téléphone chez soi pour ne pas être une cible, de rentrer avant la tombée de la nuit, de trembler quand passe une moto. « Ce qui est sûr, c’est que la violence politique contribue qualitativement et quantitativement à l’augmentation de la violence générale de la population. Lors des crises politiques de 1989, 1992, 1999 et 2002, il y a eu des pics de violence, développe Luis Cedeño. Tous les facteurs sont là : une justice qui ne fonctionne pas, l’alcool, les armes, la violence de genre, la violence politique. L’insécurité est une politique d’État. Elle instille dans la population la peur de sortir, de manifester. C’est un contrôle social. Et la tentation de commettre des délits est trop forte. Les dirigeants voient l’État comme un butin et le citoyen participe en achetant des dollars, ce qui est illégal. Tout le monde est hors-la-loi. On appartient à une grande famille criminelle dont Nicolás Maduro, le président, est le père, nous sommes tous ses complices. Et on le paie. »
Dehors, la pluie a repris, trempant les carnets, emplissant le caniveau devant la morgue. Une journaliste revient en courant, elle avait oublié deux pots de crème, trophée dont elle a parlé à tout le monde, sur le muret. Il est 11 heures, la manifestation du jour a dû commencer, on ne pourra bientôt plus circuler dans Caracas. Ils reviendront demain.