VIDÉO. Dans "Retour à Ithaque", le réalisateur d’"Entre les murs" psychanalyse toute une génération perdue, ces Cubains nés dans les années 1950-1960.
The Big Chill aux États-Unis, Peter’s Friends en Angleterre, Le Déclin de l’empire américain au Canada, Nous nous sommes tant aimés en Italie, Mes meilleurs copains ou Un éléphant ça trompe énormément en France… Genre cinématographique à part entière, le "film de potes" est propice à la nostalgie, à la sortie des (petits) mouchoirs et aux portraits de groupe qui sont aussi les tableaux de toute une génération. À ce panthéon de l’amitié sur grand écran on peut désormais ajouter un long-métrage venu des Caraïbes, le mélancolique et bouleversant Retour à Ithaque de Laurent Cantet.
Jamais là où on l’attend, le réalisateur d’Entre les murs (palme d’or en 2008), après une escapade américaine (Foxfire), s’est rendu à Cuba et a tourné en espagnol avec des acteurs autochtones. Adaptation d’un roman de Leonardo Padura (Le Palmier et l’Étoile, éditions Métailié), son huis clos à ciel ouvert respecte les unités de temps, de lieu et d’action. Sur une terrasse surplombant La Havane et le détroit de Floride se jouent les retrouvailles d’une bande de sexagénaires : Tania, l’ophtalmologiste abandonnée par ses enfants qui se sont cherché un avenir à l’étranger, Rafa, le peintre qui a perdu son inspiration du fait des contraintes administratives, Aldo, l’ingénieur qui doit survivre en tant que mécanicien, Eddy, l’homme d’affaires au look de mafieux. Et puis Amadeo, écrivain exilé en Espagne et qui, seize ans après, est enfin de retour dans son île natale.
Génération perdue
Alors que le soleil se couche, la capitale est parcourue des rumeurs d’un match de base-ball, l’opium du peuple d’ici. Du crépuscule à l’aube, ces cinq-là vont boire, danser sur des rumbas ou sur le California Dreamin’ des Mamas & Papas, longtemps écouté clandestinement, et se souvenir de leur jeunesse socialiste suivie d’une gueule de bois idéologique. Entre engueulades et réconciliations, les comptes se soldent et les rancoeurs contre le régime castriste s’expriment à l’air libre ("Ce qu’ils ont inventé pour nous faire chier…").
À travers ce club des cinq, Laurent Cantet psychanalyse toute une génération perdue, celle née dans les années 1950-1960 et qui a grandi en pensant participer à un paradis terrestre, avant de subir la pénurie de la "période spéciale", après l’effondrement de l’URSS. Cuba, ce "truc bizarre qui ne sait pas où il va". Cuba, ou l’impossibilité d’une île.
Si leurs idéaux se sont brisés aussi sûrement que les vagues sur la promenade du Malecón, reste à ces naufragés de l’histoire une solide bouée : l’amitié. Fidel a été un soleil trompeur, mais Tania, Rafa, Aldo et les autres peuvent au moins se dire qu’ils sont restés fidèles à eux-mêmes. Au-delà de Cuba et de tous les îlots idéologiques, voilà un film qui donne une furieuse envie de retourner sur le bateau des Copains d’abord.